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Le Grand Théâtre

de Jean Giono

Jean Giono est né le 30 mars 1895 et décédé le 8 octobre 1970 à Manosque, en Haute Provence. Grand fabulateur et créateur d’une Provence et d’un Manosque lyrique et imaginaire, son oeuvre comprend une trentaine de romans, des essais, des récits, des poèmes, des pièces de théâtre. On y distingue deux grands courants: l'un est poétique et lyrique; l'autre d'un lyrisme plus contenu recouvre la série des chroniques.

Aujourd'hui, Jean Giono reste ce qu’il sera toujours; un extraordinaire conteur.

LES THEMES PRINCIPAUX

En 1961, Joseph Foret demanda à Giono d'écrire un texte sur l'Apocalypse, ce dernier accepta avec enthousiasme, La tentation était trop forte d'utiliser ce thème pour parler avec ironie et humour du sens de la vie et de la mort. C'est de cela dont il est question ici, l'Apocalypse est-elle à venir ou n'est-elle pas en train de se dérouler sous nos yeux? Reprenant avec gourmandise les prophéties si terribles et imagées de Saint Jean l'évangéliste, Giono les détourne pour leur donner un sens très différent.

Une Apocalypse humaine

Saint Jean de Pathmos prophétise des fléaux pour la suite des ages, jusqu'à la fin de ce temps qu'un monde nouveau remplacera. Les horreurs qui jalonnent l'histoire ont donné raison à Saint Jean, sauf pour le grand dénouement nous dit Giono. Pour lui, si l'Apocalypse à un sens, il faut bien qu'elle concerne l'humanité dans son universalité, mais surtout dans son individualité: l'homme qui souffre et qui meurt.

L’oncle Eugène, le témoin universel

L'oncle Eugène sera ici le pitoyable symbole de l'humanité. Giono s'amuse à lui retirer tous les sens. Aveugle, sourd, bientôt paralysé, ayant perdu le goût et l'odorat, il ne sera plus qu'une mémoire vigilante, ne se nourrissant que de son passé. Enfermé en lui-même, tout ce qu'il imaginera ne concernera plus que lui. La mort seule pourra le délivrer de son Apocalypse personnelle. Nous serions donc tous comme l'oncle Eugène, perdus dans l'univers, à frissonner quand à notre futur et enfermés dans notre passé.

Le passé …

Prenant une perspective beaucoup plus large, Giono nous dit que regarder le ciel la nuit, c'est regarder "un passé composé". En effet, chaque étoile est à des années lumière de la terre, et le temps que leur lumière arrive jusqu'à nous est pour chaque astre différent. Si l'univers est en implosion, nous ne le saurons que dans des milliers d'années.

… le futur

Pour connaître le futur donc pour qu'il y ait un autre monde où tout est déjà écrit, Giono ne voit qu'une difficile et amusante solution: il faudrait pouvoir conjuguer les chiffres! Mettre le nombre des milliers d'années que l'ont voit dans le ciel au passé composé, évidement mais aussi au subjonctif, à l'impératif! Giono s'amuse avec la notion du temps: le temps qui passe et le temps grammatical. Il joue avec la notion du Verbe avec majuscule, le Verbe divin. Conjuguer les chiffres et les mettre à tous les temps grammaticaux nous ramène au présent, seul temps qui l'intéresse.

… et le présent

Nous faisant naviguer entre deux pôles, l'oncle Eugène et la voûte céleste, Giono nous dit que l'Apocalypse est au présent. Il ne faut pas avoir peur ni du passé ni du futur. La mort met fin à nos Apocalypses personnelles, mais l'Apocalypse ce n'est pas la mort. L'Apocalypse prendra fin en même temps que le dernier homme: "Quand on parle de l'Apocalypse, il faut mettre les verbes au présent" dit Giono.

Une humanité responsable

Mettant en parallèle la prophétie de cataclysmes de l'Apocalypse de Saint Jean et les horreurs de ce siècle, Giono nous dit que l'homme est seul responsable de l'Apocalypse, qu'elle soit au passé, au présent ou au futur. Il ne se lassera jamais d'être le spectateur du "Grand Théâtre" de son univers.
Tout ça n'est pas grave. Il faudra surtout te méfier de ceux qui voudraient supprimer la mort, surtout si jamais ils y arrivent. Souviens toi de l'Apocalypse: "En ces jours là, les hommes chercheront la mort et il leur sera impossible de la trouver, et ils désireront mourir, et la mort s'enfuit d'eux." Réfléchis au présent dramatique du dernier verbe.
Peu de temps après, il mourut.

MISE EN SCENE

Le Grand Théâtre est un monologue d'une durée de cinquante minutes. La mise en scène repose essentiellement sur le jeu de Romain Lagarde. La figure qu'il incarne est double; il est à la fois le fils qui se souvient et son propre père qu'il ressuscite en lui.

C'est le texte qui a crée son personnage et non l'inverse. Nous avons voulu qu'il donne ce récit comme un conteur. Son récit doit atteindre directement l'imagination du spectateur pour que chacun se compose sa propre Apocalypse. C'est le souci de la plus grande clarté et simplicité qui nous a guidés, ainsi que de faire aveuglement confiance au texte.
Le père confronte en fin de récit les nouvelles "machines d'Apocalypse" du début de ce siècle avec les prophéties de l'évangéliste Saint Jean de Pathmos. Giono a écrit son texte en pleine guerre d'Algérie et il a été profondément marqué par la guerre de 1914. Nous connaissons aujourd'hui d'autres tragédies, d'autres guerres et d'autres découvertes. Que le public y pense sans que nous ayons besoin de l'appuyer nous comblerait d'aise.

Le décor, c'est Giono qui nous le donne. Un toit fait de "tuiles d'argile crue" et la voûte céleste. Nous avons opté pour un traitement naïf et épuré de ces deux éléments, la lumière créant au fur et à mesure des moments, voire des espaces différents.
Nous avons désiré un costume très simple: une robe et un bonnet de nuit. Cela nous permet d'évoquer la nuit, le fait que le fils met l'habit de son père, un vêtement d'un autre temps, et aussi de donner à notre personnage et à sa pensée une touche de somnambulisme, voire de funambulisme.

Pour conclure, la ligne de force de ce travail est le plaisir. Le nôtre bien sûr, et celui que nous désirons offrir aux spectateurs.
Et Dieu dans tout ça? Bah... C'est une autre histoire...