accueil  à propos  contact
fiche  dossier  presse  photos  vidéos

Victor ou les enfants au pouvoir

de Roger Vitrac, 1928

Création du 7 au 24 mars 2002 à La Grange de Dorigny à Lausanne

Roger Vitrac (1899 –1952)

Ecrivain surréaliste, fondateur avec Artaud du Théâtre Alfred Jarry à Paris, Roger Vitrac, dramaturge, poète, et dialoguiste de films est un de mes auteurs favoris. Il est l'inventeur de « la dramaturgie onirique ». Son théâtre brouille les frontières du réel et de l'illusion provoquant l'incohérence, le grotesque et surtout un rire dévastateur.

L'histoire

Victor où les enfants au pouvoir est très difficile à résumer avec toutes ses péripéties. Le jour de son neuvième anniversaire, Victor, un enfant d'1m80 et « terriblement intelligent », a la révélation violente de la vie, de la mort et de l'amour. N'ayant plus rien à apprendre, et ne trouvant rien à sauver dans ce monde, il décide de mourir non sans avoir répandu le chaos autour de lui. Lors de son repas d'anniversaire, Victor révèle l'adultère entre M.Paumelle, son père, et Mme Magneau. Cocu, le mari de cette dernière en est devenu fou et tient des propos délirants. Pendant ce temps, Victor, tout en martyrisant la bonne, s'arrange pour que la petite Esther Magneau, six ans, soit giflée à tour de bras par ses parents. Passe soudain l'étrange Ida Mortemart souffrant d'une immonde pétomanie irrépressible tandis que le Général de Longségur plastronne. La nuit même, Victor décide de mourir pour ne pas devenir adulte. Cette « terrible intelligence », Victor s'en est servi pour prendre le pouvoir et semer la terreur chez les adultes qu'il accule finalement au suicide.

Un rire noir

Dans le droit fil de son travail des années précédentes, Victor où les enfants au pouvoir permet à la Compagnie de s'interroger sur une société qui engendre un doute existentiel, voire le suicide. Ce cocktail détonnant qui allie métaphysique, onirisme, critique sociale et surtout humour, ne pouvait que me séduire.

 

Thèmes du spectacle

Un dynamitage des valeurs bourgeoises

La force de la charge vient du langage et des situations surréalistes qu'impose Vitrac à ses personnages. L'apparition incongrue du personnage d'Ida Mortemart en est l'exemple le plus drôle et flamboyant. Voici la femme bourgeoise par excellence : belle, riche et aimée, mais affligée d'intestins sulfureux! Rien ne lui manque, et pourtant toute sa fortune ne peut interrompre sa propre décomposition. Là est la grande force de Vitrac : utilisant un procédé burlesque, il élève ce personnage en symbole et en messager scandaleux de la mort qui s'abattra à brève échéance sur ce monde pourrissant. Cette pièce est une dénonciation et une caricature sociale de la bourgeoisie alliée à l'église et l'armée, féroce, jubilatoire et sans concessions. Or, pour le spectateur de l'an 2000, l'actualité de cette pièce de 1928 s'est déplacé.

L'enfance au pouvoir

L'aliénation bourgeoise se montre beaucoup plus à travers le refus de laisser une place à l'imagination, symbolisée ici par l'enfance. Vitrac l'exprime avec violence sur la petite Esther qui reçoit gifle sur gifle de la main (baguée) de sa mère. Les enfants sont beaucoup plus sérieux que leurs parents, car tout pour eux, même jouer, a une importance vitale. C'est en cela que Victor, même « terriblement intelligent », reste un enfant. Etre adulte c'est renoncer à ses rêves, c'est abdiquer sa volonté de changer le monde. C'est l'impossible contradiction d'être « un utopiste lucide » qui pousse Victor dans la mort. André Breton disait : « C'est peut-être l'enfance qui approche le plus de la vraie vie. » Victor, personnifie le cri de l'enfant que nous avons tué en nous, un être pur et sans compromis, dont Vitrac nous appelle à regarder le corps mourrant.

Le jeu de la Vérité

Le jeu de la vérité tourne ici au jeu de massacre. Victor va utiliser sans retenue la maxime la vérité sort toujours de la bouche des enfants comme bouclier et arme dévastatrice contre le monde. Profitant de son impunité d'enfant, Victor dit son fait à la société, symbolisée par les adultes, et la place devant ses contradictions. En manipulant les lieux communs et la banalité de la langue, Victor ridiculise les adultes et les plonge dans un doute métaphysique. En leur faisant perdre pied, il les infantilise ; il brouille si bien les repères que l'on ne sait plus qui est adulte et qui est enfant. C'est en plaçant les adultes devant leurs doutes et leurs responsabilités que Victor les mène au suicide.

Onirisme et surréalisme

Un des jeux favoris des surréalistes était « les cadavres exquis », l'exploration amorale des rêves et de l'inconscient individuel et collectif. C'est ce que fait l'auteur ici. Vitrac place sa pièce sous le signe de l'onirisme le plus subtil. Victor mesure 1m80, Ida Mortemart survient comme un moteur dramatique à explosions, sans parler de la séquence étrange de « La Grande Dame ». Dans cette scène, sous l'œil de sa femme, M.Magneau donne vie à un fantasme : celui d'une « Grande Dame » à qui il fait l'amour. Avec humour, l'érotisme de tous les protagonistes éclate, débordant de loin une trame convenue d'adultère. Le conscient et l'inconscient des personnages nous est livré sans fard et sans psychologisme. C'est ce mélange du réel et du surréel qui crée une sensation de cauchemar éveillé et contribue à créer un doute existentiel.

Un vaudeville métaphysique

La pièce est très insidieuse, car en s'introduisant à l'intérieur de la comédie bourgeoise de boulevard, tout en parodiant ses thèmes et ses valeurs, Vitrac se livre à un dynamitage en règle non seulement de la société bourgeoise, mais aussi de son théâtre. Vitrac définit sa dramaturgie comme « un vaudeville métaphysique » invitant à explorer l'absurde et le néant. L'auteur pousse les situations jusqu'à l'extrême. En se livrant à un travail de sape sans merci sur la banalité du langage (jeux de mots, lapsus) et utilisant des associations d'images et d'idées surréalistes, Vitrac se sert de l'humour pour dynamiter tous nos repères.

Résumé

Victor ou les enfants au pouvoir est une tragédie dans un écrin de vaudeville, avec tout ce que le genre a de drôle et de jubilatoire. Avec l'ambition de mener continuellement le spectateur du rire aux larmes, cette pièce permet à la Compagnie de s'interroger sur une société qui engendre une perte de sens de l'existence menant au suicide. En provoquant le rire, ce descendant dévoyé de Labiche révèle avec éclat la tragédie d'une humanité prisonnière de son matérialisme.

 

Mise en scène

Le décor : un espace surréaliste et onirique.

Au fond et au centre, un grand meuble surréaliste. En effet, trois personnages y seront logés en permanence. A l'intérieur, derrière deux cadres à 2m50 du sol, se trouvent deux portraits de famille animés. En effet, ces deux « ancêtres » sont Catherine Deletra et Pascal Boussac, interprètes en langue des signes, qui traduiront tout de spectacle à l'intention du public sourd. Outre la théâtralité de leur chorégraphie gestuelle, cela induit une étrangeté onirique ainsi qu'un autre niveau de sens. Toujours dans ce meuble, derrière une autre ouverture presque toujours fermée, sous les interprètes, et à 1m du sol, se trouve une chaîne stéréo vivante. En effet, c'est de là que Marco Trosi, le musicien du spectacle, accompagne l'action.

De chaque côté de ce meuble, se trouvent deux grandes ouvertures donnant dans un jardin, délimitées par deux grandes portes qui ferment chaque coin de la scène. Ces portes et le meuble d'une hauteur identique de 3m, sont évidemment d'un rouge sanglant et pictural. Ils se détacheront de manière violente du sol noir.

Un vaudeville sans canapé n'est pas un vaudeville ! Dans le même esprit que le canapé en forme de lèvres de Dali, on voit au centre du plateau, pour l'acte I et II, un énorme divan turgescent de forme arrondie et stylisée évoquant un vagin. C'est autour ou dans cette arène de cirque que se noue et se dénoue l'intrigue.

Dans l'acte III qui se joue dans la chambre à coucher des parents de Victor, le divan est remplacé par un lit géant en forme de cercueil ou viendra mourir toute la famille Paumelle.

Le but de tout ce dispositif aéré et ludique est de renforcer l'onirisme de la pièce et de mettre en évidence le basculement permanent entre le réel et l'irréel.

Une trame sonore subtile

Marco Trosi a élaboré une bande-son insidieuse, très faible, entre bruitages et mélodies. L'univers sonore apparaissant et disparaissant crée un malaise diffus tout en soutenant discrètement le jeu des acteurs. Une enceinte spécifique donnera une qualité sonore certaine aux pets d'Ida Mortemart.

Des costumes étriqués

Les costumes sont sans époque précise su XXème siècle. Habits sombres pour les hommes, robes colorées et chic pour les femmes, la particularité des costumes résidera dans leur côté légèrement boursouflé pour les adultes. La distorsion discrète ainsi produite a pour but de souligner de manière ludique la petitesse bourgeoise des personnages de Vitrac. Victor, lui, sera habillé comme un enfant d'aujourd'hui.

Le jeu des acteurs : un vaudeville masqué

Les personnages sont des figures, des pantins pathétiques et drôles. C'est pourquoi je pense qu'il est important de les masquer avec des prothèses accentuant leurs traits pour accentuer le grotesque et ainsi souligner le surréalisme de la pièce. Ce sera donc un vaudeville masqué.

Le jeu dans un Vaudeville demande une grande vivacité et virtuosité de la part de l'acteur. Une pièce « de boulevard » exige de l'acteur un engagement et une énergie totale de tous les instants. C'est uniquement si le jeu est d'une sincérité absolue que les comédiens seront capables de faire rire et pleurer à la fois. Un travail minutieux sera fait sur la langue. Outre la difficulté de faire passer la drôlerie du texte, les acteurs devront en permanence être capables de faire entendre la beauté et la poésie tragique de la pièce. Rendre évidentes les images hallucinées et la violence des mots sera leur mission. Parfois, le contexte historique et les références trop françaises de la pièce appellent à des retouches pour le public actuel. Le traitement des costumes, du décor, et le jeu contribueront à ancrer la trame de la pièce dans le présent.

CONCLUSION

Le moteur de la mise en scène sera clairement la mécanique du vaudeville et de l'humour. En contrepoint, la scénographie onirique et oppressante, résolument contemporaine, permettra d'amplifier le malaise subtil qui grandit tout au long de l'histoire. En se moquant de la bourgeoisie et laissant pleinement résonner la drôlerie et la poésie surréaliste de l'écriture, l'ambition principale de la pièce apparaîtra pleinement. Il s'agit de proposer au public une interrogation métaphysique, une réflexion sur le sens de l'existence, tout en provoquant un rire jubilatoire.